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Les E3C : le jeu des gendarmes et des valeurs

Les lycées ne paraissent plus être des lieux où l’on réfléchit, où l’on respecte des règles communes pour pouvoir apprendre ensemble sereinement.

Et l’éducation revient, au début du mois de février, dans l’actualité politique. Les grèves massives de plus de la moitié des professeurs contre la réforme du régime des retraites n’avaient pas ému : sans doute beaucoup s’imaginent-ils que les enseignants perdent un trentième de leur salaire par paresse, goût de la pauvreté ou attachement à un rituel.

Là les images sont drôles et parfois affligeantes : blocages, petites foules au petit matin devant les lycées, pancartes, cris, chansons, fumigènes à l’occasion et de plus en plus systématiquement, policiers et gendarmes casqués. Dans 183 lycées les Épreuves Communes de Contrôle Continu ont été reportées, dans 63 seule une partie des lycéens a composé, dans 154 elles ont été passées malgré les blocages, dans 144 il y a eu des actions de protestation préventives. Ce sont les chiffres des organisateurs, en tout cas des coordinations de mobilisation, mais le ministère commence à l’admettre, loin des 0,1% d’agitateurs dénoncés dernièrement par le ministre.

Il y a eu peu de vraies violences, heureusement : c’est plutôt l’impression d’un grand désordre, un peu amusant, un peu triste, un peu bête aussi souvent. Mais les lycées ne paraissent plus des lieux où l’on réfléchit, où l’on respecte des règles communes pour pouvoir apprendre ensemble sereinement.

Enfin l’attitude des chefs d’établissement et de l’administration de l’Éducation Nationale met mal à l’aise. Il paraît loin le temps où les proviseurs se considéraient comme des primus inter pares, chargés d’organiser l’environnement matériel, le cadre administratif et l’ordre bienveillant nécessaires pour que chaque professeur puisse enseigner. Le chef se souvenait d’avoir été professeur et ne rougissait pas de les traiter les enseignants de chers collègues, comme pouvaient le faire alors les inspecteurs d’académie et les recteurs. Le bien commun était le savoir transmis aux élèves.

On voit aujourd’hui une administration de l’Éducation Nationale, osons le mot, détournée de son devoir, et qui considère que la survie politique du ministre équivaut à la défense de la République. Sans doute des intérêts de carrière sont-ils aussi en jeu. Mais on sent bien que le cabinet du ministre presse les recteurs, que les recteurs alarment les directeurs départementaux et que chaque semaine ou plusieurs fois par semaine les proviseurs convoqués ensemble, plutôt que de jouer l’apaisement, se voient intimer l’ordre de faire passer les E3C à tout prix, en menaçant les élèves, en intimidant les professeurs, et en trouvant naturel la surveillance des uns et des autres par la force publique, bottée et casquée. Ce qui, il faut l’avouer, donne aux premières épreuves du baccalauréat une étrange atmosphère.

Emmanuel Dreyfus