SNALC

Quand les vieilles troupes mettent sac à terre

Les adhérents du SNALC, beaucoup de professeurs, avaient espéré, un peu, à la nomination de Jean-Michel Blanquer. Deux ans et demi après, quelle déception, et quelle tristesse...


Les adhérents du SNALC, beaucoup de professeurs, avaient espéré, un peu, à la nomination de Jean-Michel Blanquer. C’était un professeur, des Universités. S’il avait eu une carrière, bien linéaire, de haut fonctionnaire de l’Education nationale, ses premiers propos, et ses premières décisions paraissaient globalement inspirés par le bon sens, insistant sur l’exigence, la transmission du savoir et l’autorité du professeur. L’expérience du dédoublement des classes de CP en zone difficile méritait d’être tentée, et pourquoi pas le détour par les sciences cognitives pour revenir aux méthodes de lecture syllabique à l’école.

Deux ans et demi après, quelle déception, et quelle tristesse. Devant et dans tous les lycées de France, enfin peut-être pas tous, mais assurément bien plus que dans 0,1 % d’entre eux, dans un bon quart ou dans la moitié, les examens sont annulés, et, sans même que les poubelles ne brûlent, on requiert policiers et gendarmes pour assurer le déroulement des épreuves, on n'ose dire le bon déroulement, tant les conditions sont au minimum marquées par l'incertitude, l'inquiétude et la désorganisation.

N'importe quel Ministre, dans un régime de responsabilité politique, reconnaîtrait son échec et démissionnerait, ou on le constaterait pour lui et il serait remercié par le chef du gouvernement. Mais là, il semble presque acquis que ce n'est pas le ministre qui a tort, que sa réforme est bonne, et que ce sont simplement les professeurs et les élèves qui ne la comprennent pas, sans doute emmenés par une minorité radicalisée.

Qu'est-ce qu'avoir raison en politique? Est-ce avoir une belle idée, en discuter avec un ami professeur des Universités, enthousiasmer un énarque, convaincre deux journalistes, obtenir l'assentiment de quelques hauts fonctionnaires occupant des postes à la discrétion du gouvernement, puis déplorer que la masse ne soit pas capable d'en saisir la complexité, dénoncer alors une minorité d'éléments radicalisés et se draper dans un courage de réformateur incompris pour continuer, malgré tout, vers le chaos ?

Est-elle belle idéalement au demeurant la réforme du lycée, qui diminue les horaires de mathématiques pour pallier la crise des vocations, invente de nouvelles matières aux programmes bâclés, plus sensibles aux effets de mode qu'à la cohérence scientifique et aux besoins pédagogiques d'un élève de quinze à dix-huit ans, mais qui peuvent être assurées commodément par des enseignants multiples et mal définis ? Est-elle si pure au demeurant la réforme du baccalauréat qui multiplie les épreuves hybrides, ni tout à fait examen national ni tout à fait épreuves locales, et qui arrive à conjuguer bachotage permanent et inégalité devant l'examen ?

 

Car, franchement, peut-on réformer l’école sans obtenir, je ne dis pas l’adhésion, ce qui est sans doute impossible, mais le consentement des professeurs ? Si un maître peut enseigner ce dont il doute, peut-il bien instruire dans ce à quoi il est tout à fait hostile ? Certes conduire une telle réforme est long et difficile : cela suppose de vouloir sincèrement convaincre les professeurs, de considérer que leurs représentants exposent, pour divers qu’ils soient, un point de vue légitime et nourri d’expérience, et de ne pas se répandre en amusements à destination des médias, censés capter cette étrange chose qu’est l’opinion, cela suppose en tout cas de chercher une véritable cohérence et cela aboutit enfin à ce qu’on est pas sûr d’en récolter les fruits dans le temps politique qui est imparti au ministre.


Il est vrai que le Premier Ministre et le Président de la République pourraient avoir scrupule à reprocher au ministre de l'Education nationale de conduire la réforme du lycée et du baccalauréat comme ils conduisent la réforme des retraites: la fleur au fusil et tambour battant, sans se préoccuper beaucoup de la réalité, balayant les avis des corps intermédiaires quand ils sont contraires, et clamant leur volonté de voir disparaître ou substantiellement réduites les représentations syndicales et professionnelles, restes scandaleux de l'ancien monde. 

Comment s'étonner que, tout en gardant leur calme sous le feu, les vieilles troupes mettent sac à terre, résolument ?


Emmanuel Dreyfus