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Vingt interrogations sur la réforme du baccalauréat

“Etudiants, étudiantes, ne vous présentez plus au bac : prenez le Pont de Tancarville !” Francis Blanche

Vingt interrogations sur le rapport Mathiot et la réforme du baccalauréat et du lycée

Emmanuel Dreyfus

  1. S’agit-il vraiment d’une promesse de campagne du président Macron ? Ou sous ce nom n’est-ce pas plutôt un projet tout prêt, préparé par les experts du ministère depuis la réforme du collège, avec les mêmes présupposés fâcheux  -l’utopie du lycée unique, sans distinction entre général, professionnel et technique, et avec des disciplines scientifiques remplacés par de vagues compétences interdisciplinaires, le culte du travail en groupe?

  2. Est-ce véritablement un projet du ministre avec lequel nous avons été d’accord jusque-là -pour l’assouplissement des rythmes scolaires, de la réforme du collège et la réhabilitation des langues anciennes?

  3. Est-ce un ballon d’essai ou passage en force ? La commission a laissé fuiter des informations partielles, avant de publier le rapport le 24 janvier. Le ministère doit se prononcer le 14 février. Et, au-delà des proclamations de principe, quelles seront les traductions concrètes en termes d’heures de cours et de poste ?

  4. Le ministère semble vouloir imposer en seconde la réforme à la prochaine rentrée 2018, alors même que les Dotations Horaires Globales sont en train d’être annoncées par les directions académiques pour être votées par les conseils d’administration des établissements. La réforme n’aura-t-elle pas d’impact sur ces dotations ?

  5. Evolue-t-on vers un système, « les neuf doublettes », qui sera en fait un système à 9 sections au lieu de 4, ou bien un système sans sections ?

  6. Si on évolue vers le système sans sections, qui est le système anglo-saxon, est-on sûr de son intérêt pédagogique ? On supprime l’organisation en classes, alors que cette organisation, si elle dysfonctionne quelques fois, fonctionne en général plutôt bien, avec un esprit commun, une relation entre groupe d’élèves et équipe de professeurs plutôt encadrante et stimulante.

  7. Il y aura des bonnes et des mauvaises doublettes, ou en tout cas des doublettes qui permettront des débouchés différents dans l’enseignement supérieur, qui décidera des débouchés, encore peu lisibles, quand il faudra choisir à moitié de seconde, dans un an ?

  8. Le système français d’enseignement secondaire repose sur l’organisation en disciplines, liées par leurs contenus à des disciplines universitaires. Le professeur tire sa légitimité et son talent d’enseignant, du goût qu’il a de sa matière, et de sa compétence scientifique validée par un concours. Les professeurs agrégés sont susceptibles d’enseigner aussi dans l’enseignement supérieur. Un nombre croissant d’enseignants est docteur. Que met-on à la place ?

  9. Cette organisation en discipline distinctes permet à l’élève d’acquérir des points de vue variés et des méthodes différentes et donc stimulantes. Le Français et l’Histoire sont des matières sœurs et pourtant qui ne plaisent pas de la même façon aux mêmes élèves. Faut-il les remplacer des productions interdisciplinaires ?

  10. Est-ce tout à fait par hasard que cette réflexion a été confiée à un professeur de science politique, directeur d’IEP ? La science politique, discipline hybride, est stimulante parce qu’hybride. Ses thuriféraires ne comprennent pas toujours l’intérêt de l’organisation en disciplines. Mais ce mélange qui enrichit la démarche d’un chercheur n’est pas forcément adapté à l’apprentissage d’un lycéen, il n’existe pas d’ailleurs dans tous les premiers cycles d’université.

  11. Quelle va être, au-delà des principes, la traduction de cette réforme en heures de cours et en postes de professeurs ? Nous ne sommes donc pas dans un IEP national qui fonctionne essentiellement avec des enseignants vacataires, même si certains en rêvent. Si l’on rompt l’équilibre fragile du nombre d’heures de cours, d’enseignants de chaque discipline et de postes mis au concours, on met en péril des filières universitaires dont le débouché serait tari, et par ricochet la recherche. Et ce qui serait détruit « pour expérimentation » serait très difficile à reconstruire.

  12. Si le but implicite est de remettre en cause la domination de la filière S, qui sélectionne en général les meilleurs élèves de chaque lycée, qu’ils soient scientifiques ou non, pourquoi ne pas plutôt élever les exigences des filières ES et L, en permettant pour cette dernière par exemple, un vrai cursus en langues anciennes ?

  13. Quelle est la justification de ce grand oral de n’importe quoi ? Est-il vraiment juste de juger un adolescent de 18 ans sur sa manière d’être, son apparence, des travaux préparés sans contrôle, à l’avance et peut-être non sans collaboration ? Quelle est la légitimité d’un non enseignant pour évaluer un niveau scolaire ? Qui choisira-t-on avant de vérifier son casier judiciaire ? Un représentant du patronat, des syndicats, des religions établies, un ami de la famille ?

  14. Que fait-on en cours des élèves qui ne passent pas l’examen dans la matière, une fois -en février-, les bulletins faits pour le bac et les filières sélectives ? Tarot ou poker ?

  15. Est-ce qu’imposer aux enseignants des emplois du temps non annualisés est vraiment le meilleur moyen de faciliter la carrière des professeurs femmes ayant des enfants ? Ou des hommes désireux de partager également les tâches.

  16. On parle des filières générales, comme si les baccalauréats professionnels et techniques n’existaient pas. Comment peut-on adapter ce modèle aux filières techniques où les disciplines même non techniques, bénéficient de programmes adaptés à la filière ? En quoi serait-ce à l’avantage des uns et des autres de faire un cours d’histoire de la même manière à un bon lycéen de Terminale générale qui se prépare à l’université ou à la classe préparatoire en prenant des notes et en écrivant des compositions, et un lycéen technique, qui tout en aimant bien l’histoire et en y réfléchissant honnêtement, rédige à grand peine ? L’expérience de la classe de seconde n’en montre pas l’intérêt.

  17. Est-ce qu’honnêtement le baccalauréat du lycée de Clichy-sous-Bois aura la même valeur que celui de Neuilly-sur-Seine si on généralise le contrôle continu ?

  18. Enfin que dire des QCM qui devraient permettre d’évaluer les lycéens "sur une palette de compétences plus importantes qu'aujourd'hui" ? Cela évitera sans aucun doute les discriminations injustes envers les élèves analphabètes…

  19. En quoi distinguer des épreuves finales, des épreuves anticipées ou sur contrôle continu mais avec des « banques de sujets » communs et des échanges de correcteurs, simplifie-t-il l’examen ?

  20. Si l’on veut instaurer -osons le mot tabou- la sélection à l’université -et nous sommes tout à fait pour-, pourquoi ne pas confier cette tâche au baccalauréat, en relevant selon les attentes des universitaires le niveau d’exigence actuel des épreuves les plus classiques, compositions, commentaires, exercices avec raisonnement, plutôt qu’en confiant ce rôle à des prérequis obscurs définis par chaque université, voire par chaque filière universitaire -quitte à doubler ce baccalauréat sélectif par un diplôme  de fin d’études du secondaire, obtenu sur la base des notes de de l’année ?