SNALC

La voie professionnelle : l’excellence pour les pauvres ?

Les belles images suffisent-elles vraiment à reconstruire l’image des lycées professionnels ?

La peopolisation des élèves de la voie professionnelle.

Des sites web des lycées aux sites web ministériels, on voit des images (photos ou vidéos) d’élèves« biens habillés », pardon en tenue professionnelle, souriants et un peu intimidés lorsqu’ils sont en compagnie d’hommes politiques (maires, députés, ministres et même le président de la république). Évidemment, je suis en empathie avec ces jeunes gens mis en lumière, mais mon esprit chagrin se demande quel est le pourcentage d’entre eux qui serait capable de rédiger, en autonomie, une lettre de motivation. Pour les élèves de mon établissement tertiaire j’ai la réponse et elle est de l’ordre de 30 %.

Tous ces sites évoquent les actions pédagogiques innovantes, les projets, les voyages à l’étranger de quelques uns….Ces vitrines bénéficient de toute l’attention de notre hiérarchie intermédiaire et de moyens matériels et humains considérables au prétexte de concurrence entre les établissements et de la nécessité pour chacun d’attirer les meilleurs élèves (sic…). Et en même temps, au nom du service public nous devons accueillir tout le monde et à tout moment de l’année: les 20 % des élèves qui ne savaient pas lire, écrire, compter en CM2 ; les élèves arrivés récemment en France, les élèves sortis de seconde générale et technologique, les élèves handicapés cognitifs, les élèves sortis de prison ou en passe d’y entrer… Et bientôt ou parfois des apprentis ou des ex-apprentis.

Tous comptes faits on comprend mieux.

La concurrence entre établissements publics peut à juste titre en indigner beaucoup mais en adoptant le point de vue de l’économie de marché cet argument se révèle vraiment fallacieux. En effet, les enfants de pauvres sont une clientèle captive. Les lycées publics ont, de fait, un monopole sur la formation des enfants des catégories socio-professionnelles (CSP) les moins favorisées pour utiliser l’euphémisme en vogue. Ils sont les premières victimes des délires pédagogistes qui bizarrement perdurent pour le lycée professionnel. Les enseignants en sont les secondes. Sans être des économistes chevronnés, nous savons tous comment se comporte une entreprise en situation de monopole. Dans le cas de l’école publique, elle ne peut augmenter le prix mais elle peut en diminuer considérablement les coûts. Le passage du bac pro de quatre à trois ans n’avait pas d’autre but. Le développement de l’apprentissage dans le EPLE via la mixité des parcours ou la mixité des publics qui se profile à grande échelle, au-delà d’enjeux économiques qui dépassent largement l’école, a la même visée : « le premier objectif est…. l’impact sur les obligations de services et sur les rémunérations ». De plus, que l’on se le tienne pour dit si nous ne réussissons pas à atteindre l’excellence nous n’aurons qu’à remettre en cause notre pédagogie. « Il s’agit donc essentiellement de faire évoluer la perception de l’apprentissage, en particulier par le corps enseignant, en développant la professionnalisation des acteurs en termes d’ingénierie pédagogique »*.

Mais l’importance donnée à l’image permet surtout d’accuser les enseignants qui oseraient se plaindre des conditions d’enseignement, de ternir l’image du lycée et donc d’aggraver la situation. Et ce sont les premières réponses qu’ont reçues les courageux collègues du lycée Gallieni de Toulouse, avant l’intervention du ministre de l’éducation. Pour conclure dans le champ lexical de l’entreprise, ne sommes-nous pas en présence de pratiques commerciales trompeuses si ce n’est par action au moins par omission. Pratiques qui de toute évidence ne trompent pas les CSP +.

Le SNALC continue son combat pour une voie professionnelle qui délivre réellement un enseignement de qualité, dans des conditions de travail dignes pour les élèves et les enseignants.

 

Valérie LEJEUNE
PLP GA Académie de Versailles

 

* DÉVELOPPEMENT DE L’APPRENTISSAGE DANS LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS LOCAUX D’ENSEIGNEMENT. RAPPORT DE L’INSPECTION GÉNÉRALE JUILLET 2016